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Capharnaüm Euphrasien
22 avril 2005

*Mots*

Donnez moi un grain d'hémisphère. Juste une perle. Le Nord, le Sud, qu'importe, ou pourquoi pas celui du milieu. Donnez le moi. Lorsque les lèvres s'entrouvrent, lorsqu'elles lachent un mot, puis deux, puis une rimbambelle, moi parfois je les vois. Je les vois, oui, comme je les entends. Ils sortent de manières différentes, le ton module le cortège, l'émotion guide ces pélerins. Ils jaillissent par la colère, dégringolent par l'émoi, j'en vois même parfois qui coulent par la bave de la médisance. Ont-ils des couleurs ? Pas tous. Il y a des mots ternes, bureaucratiques, mécaniques. Il y a les presque pâles, effet vitrail, des mots d'amour ou de doute, ce sont les mêmes. Les couleurs criardes, les costumes bariolés, pour la joie, la fête, l'éclatement des sens. Et le mot le plus noir, c'est le mot Espoir. Il est noir mais il brille comme une encre de chine sous la Lune. Comme une flaque sous un corbeau. Une fois, j'ai entendu un mot que je n'ai pas vu, il était murmuré, soufflé du bout de l'âme, il était Reviens.. Des comme celui ci, pourtant, j'en avais déjà vu, parfois bleu, parfois rose, pour l'enfant, le chien, l'ami. Mais lui, non, invisible. Une exeption de cristal, je me suis dit. Dans les brouillards ils flottent tous, même les crachés de rage paraissent inoffensifs. Les bouches sont cachées, happées de blanc ou de gris, alors on tisse une nappe de bonté, un masque.

Il parait qu'un jour je croiserai la femme à cape. Elle ne parle qu'à demi-mot, le reste elle le conserve dans sous sa cape noire que jamais elle n'ôte. Elles sont otages, les moitiés avalées, elles grouillent et gonflent le manteau. Il parait que le jour où je la croiserai, ils me crèveront les yeux, à travers le tissu épais, ils me supplieront de les délivrer, de délier la langue de cette avare, de lui relever le menton pour éclaircir sa diction. Parfois cette mission m'effraie, je la trouve lourde, mais je reste aux aguets. Et puis aussi j'hésite. Et si les mots étaient ses trésors, si elle les gardait au chaud d'elle-même pour les protèger du froid et des blessures. Pour les protèger d'eux-même ou de la désuétude. Moi qui ne sait pas en aligner trois, qui aie perdu la partition de leur suite, pourquoi lui arracherais-je ses compagnons fidèles qui forment des rondes en vers, en prose, en aparté et en pamphlets ?.. Dilemme récurrent.

J'ai lu dans le sourire plissé de la cartomancienne. J'ai lu qu'au bout du compte, je laisserai les mots dans leur alcôve. Je les laisserai s'ebattre et s'emboiter. Se mêler. Les mots s'aiment-ils entre eux comme un humain en aime un autre ? Bien sûr. Ils fusionnent et, tellement épanouis de bien-être, s'écrivent en MAJUSCULE. Les plus passionnées se nouent par un tiret, à défaut de mains qui s'étreignent. L'idylle de Cerf et de Volant est la plus fameuse, la plus merveilleuse. Imaginez combien ces deux individus n'étaient pas destinés à se rencontrer. Ils étaient si différents, si lointains. L'un paraissait sous des clairières moussues, parfois dans de funestes détonations de poudre. L'autre était plus léger, plus courant comme une bise. C'est un jour une parole enfantine qui d'une inattention scella la rencontre. Une pupille qui peignait son royaume, ce royaume où les animaux volent, où les bois se déversent dans le ciel. Cette histoire n'est pas rare, mais beaucoup restent secrètes. Les mots ont leur intimité, et ce n'est pas en les prenant de haut, détaillant leur personne des pieds à la lettre que nous pouvons les dévoiler.

Je crains que ce don tarisse, qu'il disparaisse et me laisse seule avec les sons vides, résonnant sans leur image. Des sons désincarnés, craintifs et menteurs. Menteurs, oui. L'atrocité, la tragèdie peuvent se siffloter l'air dégagé, la mélodie gaie ; alors l'esprit devient indolent, accoutumé. Tandis que voyant la mine de ces mots damnés, jusqu'au tréfond d'elle-même l'âme ne cesserait de trembler. Cet air hagard qu'a le Désir, lorsqu'il est sombre. Ce rictus glaçant qu'arborent les plus cruels. Sous le gilet des leurs syllabes martelées, machonnées, dégobillées à foison, ils se cachent montrueux. Mais, il en est de même pour les plus doux, les plus fragiles. Trop déclamés ils fânent, deviennent fades, se salissent comme la neige pure sous les pas de la boue. Trop étreints ils étouffent, et on l'ignore, ne voyant pas leurs visages congestionnés, bleuis avant le dernier soupir. Ils ne sont ni bons, ni mauvais, des chandelles, des secrets, des nébuleuses. Mais peut-être sur la voie de la disparition, une mauvaise voix, enrouée et railleuse; atone.
Je ne dois pas perdre les mots, je dois les retrouver.

Je ne dois pas me perdre.

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